C. Krahmer: Julius Meier-Graefe. Ein Leben für die Kunst

Title
Julius Meier-Graefe. Ein Leben für die Kunst


Author(s)
Catherine Krahmer
Published
Göttingen 2021: Wallstein Verlag
Extent
604 S.
Reviewed for Connections. A Journal for Historians and Area Specialists by
Michel Espagne, Paris

Après avoir publié la correspondance de Julius Meier-Graefe Catherine Krahmer rend un service majeur à l’historiographie de l’art dans un espace franco-allemand en consacrant une étude biographique à celui qui pendant, les périodes de nationalisme le plus exacerbé, joua le rôle d’un médiateur entre deux traditions artistiques. Elève de Hermann Grimm, Lazarus, Treitschke et Georg Simmel, Meier-Graefe s’est d’abord illustré en publiant une brochure sur Munch (1894) qui montrait sa sensibilité aux courants artistiques modernes. Dès ses débuts il adopte un style quasi-littéraire pour parler de l’art qui tranche sur les développements plus érudits. L’intérêt pour l’art moderne se manifeste avec la fondation de la revue PAN, à l’instigation du poète Richard Dehmel. C’est aussi l’époque où, à Paris, Meier-Graefe découvre les œuvres de Toulouse-Lautrec. Arrivé en 1895 il est resté 10 ans à Paris où il s’est notamment intéressé à l’art de Van Gogh dont il sera un des grands promoteurs. Grâce à la nomination de Hugo von Tschudi à la direction de la Nationalgalerie où il était conseillé par Max Liebermann, grâce à la fondation en 1898 de la Sécession berlinoise, un terrain très favorable à la découverte des courants de l’art moderne se dessinait à Berlin. C’est pourtant à Paris que Meier-Graefe rencontre, notamment dans le cadre de l’exposition du livre moderne, Siegfried Bing qui faisait rimer la modernité esthétique avec sa découverte de l’art japonais. Meier-Graefe a une intense activité de fondateur de revues comme Dekorative Kunst qui paraît à Munich à partir de 1897 et où il publie de nombreux articles sous pseudonyme Et pour la version française L’art décoratif Meier-Graefe collabore avec Van de Velde. Plus tard un héritage lui permet de financer plus facilement ses activités de publiciste. Inspiré par l’image Zola, il s’engage dans la fabrication de portefeuilles d’estampe, notamment autour de Germinal. Son entreprise parisienne, « La maison moderne », participe en 1900 à la Sécession viennoise. Mais ces parcours à travers le monde de l’art ne l’empêchent pas de travailler entre 1899 et 1903 à son œuvre principale Entwicklungsgeschichte der modernen Kunst, peut-être inspirée par un volumineux ouvrage sur l’histoire de l’art au XIXe siècle de Richard Muther. Le travail paraît à Stuttgart en 1904 et coïncide avec le retour en Allemagne de Meier-Graefe. Les questions artistiques sont pour Meier-Graefe ancrées dans des problèmes esthétiques ou culturels plus généraux qu’il essaie de mettre en valeur. C’est cet intérêt pour le contexte qui le conduit par exemple à publier en 1905 sa dénonciation de Böcklin. Fasciné par Manet comme par Van Gogh, par Corot et Courbet ou encore par Delacroix, auquel il consacre un livre en 1913, Meier-Graefe envisage l’art dans le cadre d’échanges ou de tensions entre la France et l’Allemagne. Grâce au directeur du musée de Hambourg Lichtwark, à l’écoute des tendances modernes et étrangères, Meier-Graefe a participé à la grande exposition de 1906 à Berlin sur l’art allemand au XIXe siècle, une exposition censée, dans l’esprit de ses promoteurs, réveiller le souci des évolutions artistiques. Même si la référence à la France domine, Meier-Graefe s’intéresse aussi à l’Espagne, une Espagne où Le Greco joue un rôle plus central que Velasquez. C’est à une critique de Carl Justi et de son grand livre sur Velasquez, qu’aboutit le voyage espagnol de Meier-Graefe. Quoiqu’installé à Berlin après son retour de France, il va principalement collaborer avec l’éditeur de Munich Piper qui l’incite à travailler sur Hogarth mais va surtout accueillir les trois volumes du travail sur Hans von Marées pour lesquels il a bénéficié des sources d’information essentielles que représentaient Adolf von Hildebrand et Konrad Fiedler, compagnons de route de Marées. La dimension franco- allemande du propos de Meier-Graefe, ici encore, reste primordiale, puisqu’il compare Marés à Puvis de Chavanne, au grand scandale de l’historien d’art et germaniste Louis Réau, et réussit même à le faire connaître à Paris. Meier-Graefe ira jusqu’à fonder une société Marées dont l’objectif sera notamment de publier des dossiers de reproductions. Catherine Krahmer souligne à juste titre l’obsession de Meier-Graefe pour les imbrications franco-allemandes et l’équilibre entre deux traditions artistiques, en le comparant à Romain Rolland, en suivant dans tous ses détails le projet d’une maison d’édition franco-allemande, le souci que l’Almanach paraissant chez Piper illustre bien une citoyenneté mondiale de l’art. Dans ses conférences sur la culture et l’art, il se réclame volontiers de Cézanne. Il convient aussi de souligner les multiples renvois à l’œuvre de Delacroix, si souvent mentionné par Meier-Graefe, et qui donne matière à un livre, paru en 1913. Dans les années qui précèdent la Première guerre mondiale, Meier-Graefe s’intéresse à Courbet, et la seconde édition de son Entwicklungsgeschichte porte les traces de son voyage en Espagne et de l’engouement pour Le Greco qui s’en est suivi. Même si leurs personnalités étaient très différentes, il était nécessaire d’évoquer le pendant de Meier-Graefe que représente Carl Einstein. Prisonnier en Sibérie, lors de la Première guerre mondiale, Meier-Graefe bénéficie, pour sa libération, du soutien de Romain Rolland, et publie avant même la fin de la guerre une œuvre littéraire qui reflète son expérience, Der Tscheinik. Après la guerre Meier-Graefe fit comme Gide partie des militants engagés dans le sauvetage d’une Europe de la pluralité et de la diversité des cultures. Aux travaux sur Degas et Courbet de 1920 succède le retour à un de ses premiers peintres favoris, Van Gogh, peintre de la Provence auquel Meier-Graefe consacre un ouvrage en deux volumes intitulé familièrement Vincent.

Comme il s’en est ouvert dans une lettre à Hofmannsthal, Meier Graefe ne s’est jamais perçu comme représentant d’une discipline. Il a aussi été un écrivain, auteur de nombreux livres ressortissant à divers genres littéraires. On notera tout particulièrement son livre sur Dostoievski avec qui il partageait l’expérience de la Sibérie, et dont il se sert pour évoquer singulièrement Rembrandt. Deux des tout derniers ouvrages de Meier-Graefe, consacrés à Corot et à Renoir, illustrent son attachement à l’art français, plus particulièrement à la sensibilité impressionniste. C’est avant même l’arrivée du nazisme que Meier-Graefe s’est retiré en Provence. L’étude de Caterine Krahmer constitue une contribution désormais incontournable à l’histoire de l’art dans un espace franco-allemand durant un demi-siècle. Complété par un dossier de photos et un savant et abondant appareil de notes, elle offre une vue complète du paysage des éditeurs ou des revues d’art, et constitue en outre un travail sur l’histoire du livre d’art. Catherine Krahmer, qui comme éditrice de la correspondance connaît mieux que personne l’évolution du regard de Meier-Graefe, a choisi de laisser son auteur s’exprimer dans de longues citations. Ce monologue intérieur complique par instants la lecture, mais a l’immense médite de laisser, pas à pas, le meilleur observateur allemand de l’expressionnisme et de bien d’autres courants, rendre compte de sa perception des œuvres.

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11.02.2022
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