W. Adam: Montaignes Kalender

Title
Montaignes Kalender.


Author(s)
Adam, Wolfgang
Series
Beihefte zum Euphorion. Zeitschrift für Literaturgeschichte (115)
Published
Extent
129 S.
Price
€ 36,00
Reviewed for Connections. A Journal for Historians and Area Specialists by
Michel Espagne, Centre National de la Recherche Scientifique, Paris

Les transferts culturels empruntent parfois d’étranges détours. On doit au germaniste et néo-latiniste Wolfgang Adam d’avoir mis en lumière l’utilisation faite par Michel Eyquem de Montaigne (1533–1592) d’un calendrier luthérien du poète, humaniste et historien Michael Beuther (1522–1587) pour y noter les événements marquants de sa vie familiale et personnelle. Publié en 1551 à Paris, l’Ephemeris historica répond bien à la conscience aiguë des passages et du temps qui s’écoule chez Montaigne. Il est particulièrement intéressant de voir comment Montaigne insère dans le temps historique décrit par le calendrier les étapes marquantes de sa propre histoire. Wolfgang Adam présente très précisément les caractéristiques d’un genre auquel s’est sacrifié l’élève de Melanchthon et de Luther que fut Beuther. Auteur de recueils d’épigrammes, Beuther a été aussi le traducteur en allemand de l’épopée animale Reinke de Voss. Les calendriers historiques rencontrèrent un évident succès en France et comme leurs promoteurs allemands se réclamaient de Melanchthon, on a affaire à l’adoption d’un genre allemand dans le contexte culturel français du XVIe siècle. Comme les indications historiques qui occupent moins de la moitié de la page imprimée, ces calendriers qui s’adressent à un public maîtrisant le latin invitent à un croisement des événements historiques et d’épisodes vécus.

Dans les indications historiques du calendrier de Paul Eber (1511–1569) dont a pu s’inspirer Beuther, on trouve des références à Martin Luther et à la Réforme, montrant bien que la culture du calendrier, en s’affirmant en France, dépassait les frontières confessionnelles. Si la plupart des références historiques concernent l’Antiquité ou la Bible, beaucoup sont rattachées à l’histoire plus proche. Les ajouts manuels de Melanchthon au calendrier de Paul Eber, qu’il a lui-même utilisé, renvoient à l’histoire biblique, mais la méditation religieuse est certainement moins centrale chez Montaigne. Dans son calendrier, Michael Beuther est plus prolixe sur les dates importantes de l’histoire de France. Son Ephemeris historica serait en fait une sorte de bréviaire de culture générale acquise par l’écrivain Montaigne dès sa parution à Paris. Les notes manuscrites de Montaigne en ont fait un véritable livret de famille de l’écrivain, qui note par exemple le jour où le roi Henri IV lui avait rendu visite. Le calendrier enrichi d’autographes de Montaigne a eu une histoire elle-même longue, avec des étapes chez les collectionneurs américains avant de revenir à son point de départ, la bibliothèque de Bordeaux.

On y trouve 44 notes de Montaigne dont 39 en français, les autres étant en latin. Elles s’échelonnent des années 1550 jusqu’en 1591. La fascination de Montaigne pour les questions calendaires se manifeste par exemple dans l’attention qu’il prête à la réforme du calendrier grégorien de 1582 qui aboutit quasiment à le priver de dix jours d’histoire. Son calendrier, Montaigne n’a cessé de l’utiliser, exprimant par exemple sa tristesse à la mort de Marguerite de Navarre. La page du calendrier mentionnant la mort du roi de France François 1er est, elle, accompagnée d’observations sur les initiatives du souverain dans le domaine de la culture humaniste, dans la diffusion de la langue grecque et de la langue latine. La mort de Montaigne lui-même donnera lieu à une mention manuscrite de son fils cadet dans l’Ephemeris à la manière dont Montaigne avait signalé dans l’éphéméride la mort de son propre père. Si Montaigne manifeste une réelle familiarité avec les idées de Melanchthon depuis sa scolarité au Collège de Guyenne, il n’en reste pas moins méfiant face aux troubles générés en France par la Réforme. Montaigne note la date de son mariage, évoque la naissance de ses filles Thoinette et Léonore. Il mentionne le décès de sa première fille. Un réseau de renvois relie les notes de l’éphéméride, elles-mêmes rangées sous des notices historiques, à la genèse des Essais et de son Journal de voyage. D’ailleurs, le retour du fameux voyage en 1581 est expressément signalé. Bien sûr, la nomination de Montaigne comme maire de Bordeaux et l’invitation du roi à assumer cette charge font l’objet d’une note manuscrite. L’auteur est sensible aux honneurs et marques de respects. Ainsi le 19 décembre 1584 il est précisé que le roi lui a rendu visite sans aucun de ses officiers et a dormi dans son lit, un signe de confiance extrême. Pris au milieu des troubles des guerres de religion, Montaigne a été un bref moment emprisonné, un épisode qu’il relate dans l’éphéméride : « c’estoit la premiere prison que i’eusse onque vue ». Même s’il est difficile de distinguer une systématicité des notes de Montaigne, on observe à tout le moins un souci de souligner les interactions entre la situation politico-religieuse en France et en Europe et sa propre existence. Singulièrement, la mort de l’ami le plus proche, La Boétie, bien évoquée dans le Journal de voyage, ne donne lieu à aucune note personnelle. Certes l’éphéméride est un document aux nombreuses lacunes, mais il montre l’attention portée par Montaigne à la temporalité, au temps historique dans lequel il s’inscrit et au temps de sa vie et de celle des proches. Surtout, le genre même de l’éphéméride complété par des notes personnelles montre les interrelations entre la Réforme et les intellectuels français du premier XVIe siècle à travers un cas ponctuel, mais dont l’analyse supposait une excellente connaissance du néo-latin et de l’œuvre de Montaigne en contexte européen. Deux qualités qui distinguent le travail de Wolfgang Adam.

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30.08.2022
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