Karl August Böttiger: Briefwechsel mit Auguste Duvau

Title
Böttigers Briefwechsel mit Auguste Duvau. Herausgegeben und kommentiert von Klaus Gerlach und René Sternke


Author(s)
Böttiger, Carl August
Published
Berlin 2004: Akademie Verlag
Extent
350 S.
Price
Rezensiert für 'Connections' und H-Soz-Kult von:
Geneviève Espagne

L’ambition des éditeurs de cette correspondance est d’apporter une contribution à l’archéologie de quelques lieux centraux de la mémoire culturelle allemande. Le volume que nous annonçons est le premier d’une édition à venir de correspondances choisies d’un personnage dont les facettes multiples sont progressivement mises au jour par les chercheurs. Le nom de Karl August Böttiger (1760-1835) est longtemps resté attaché à sa chronique de Weimar, dont nous ne devons le texte scientifiquement établi qu’à une récente publication par les mêmes éditeurs (« Literarische Zustände und Zeitgenossen. Begegnungen und Gespräche im klassischen Weimar“, hrsg. von Klaus Gerlach und René Sternke, Berlin 1998). Le publiciste, successeur de Wieland à la rédaction du Neuer Teutscher Merkur de 1794 à 1809, entre 1797 et 1803 / 1804 co-rédacteur avec Bertuch du Journal des Luxus und der Moden et de London und Paris, collaborateur de nombreuses autres revues, était au cœur d’un ouvrage de Ernst Friedrich Sondermann (« Karl August Böttiger, Literarischer Journalist der Goethezeit in Weimar », Bonn 1983). L’archéologue au rayonnement européen enfin suscite depuis peu un nouvel intérêt dans le cadre des études sur la genèse et l’institutionalisation des savoirs.
L’apport de l’échange épistolaire qui fait l’objet de la présente édition (il englobe 104 lettres rédigées entre avril 1795 et avril 1829) réside non seulement en ce qu’il précise le portrait déjà familier de Böttiger mais en ce qu’il tire à la lumière une figure plus secrète mais, à bien des égards, paradigmatique de l’histoire sociale et littéraire de l’époque.
Le ci-devant Chevalier Auguste Duvau (1771-1831) fait partie de la petite colonie d’émigrés français établie dans le Weimar classique. Natif de Touraine, sans ambition politique, contrairement à son concitoyen grenoblois Jean-Joseph Mounier qui est ex-premier président de la première Assemblée nationale française et sera préfet du département d’Ille-et-Vilaine, Duvau n’avait jusque-là guère attiré que l’attention très exercée du germaniste français Charles Joret. Ses lettres à Böttiger la justifie pleinement. Elles révèlent un homme cherchant, comme d’autres compagnons d’infortune en Allemagne, des expédients dans divers travaux littéraires ancillaires, mais bénéficiant, à la différence de beaucoup d’autres, de l’envergure de Weimar et de ses réseaux. Il sera ainsi traducteur des « Göttergespräche » de Wieland, du très populaire « Kunst, das menschliche Leben zu verlängern » de Hufeland ainsi que de l’Augusteum une description des monuments antiques de Dresde par Becker, un archéologue ami de Böttiger. Confiant dans un regard aiguisé par la légendaire précision de la langue française, le même Böttiger procure à son protégé une fonction plus originale : celle de lecteur / correcteur auprès de l’éditeur Sander de Berlin pour les romans du prolixe Lafontaine. La correspondance des deux hommes apporte aussi un éclairage sur certaines pratiques du premier journalisme moderne. Le moindre déplacement vaut à Duvau d’être enrôlé par Böttiger pour fournir le matériau brut nécessaire à son immense activité de publiciste : informations sur le déroulement de la foire de Leipzig, sur la vie théâtrale à Dresde, Vienne, Leipzig et les collections d’art de Dresde, Vienne, Venise ou Rome, sur la visite de Madame de Staël et de Benjamin Constant à Leipzig en mars 1804 (nous devons ainsi à la plume de Duvau la seule description suggestive de cette visite) et ses propres visites à Coppet en décembre 1804 et en juin 1805. Cette nouvelle tâche explique la forme de nombre des lettres du Français : notations en style télégraphique cherchant à retenir les données essentielles ou les impressions sur le vif qu’elles lui inspirent. Correspondance et journalisme sont à l’époque des modes d’écriture connexes.
Duvau est en effet également voyageur, mais ses voyages sont à l’origine encore commandés par ses activités weimariennes. Professeur à l’institut fondé par Mounier, il accompagne en 1801/02 un de ses élèves, un jeune Irlandais, dans un périple qui les conduit sur le Rhin, puis en Italie, à Dresde et Vienne avant le retour dans la patrie. La difficulté à trouver un établissement durable en France le pousse à un second départ en compagnie du fils du banquier Alphonse Perrégaux : les deux visiteurs seront hôtes de l’alma mater leipzigoise d’avril 1803 à octobre 1804 puis ceux des milieux érudits de Genève jusqu’en septembre 1805, ces contacts universitaires communiquant à Duvau une nouvelle passion pour la botanique. Dans les années 20, il sera, à Paris, collaborateur du « Bulletin universel des sciences et de l’industrie « publié par le baron de Férussac.
Ce qui donne son profil singulier à Duvau c’est le degré de son immersion dans la culture germanique, et d’abord dans sa langue. Toutes ses lettres sont rédigées en allemand, un allemand de l’époque certes mais d’une sûreté remarquable : “Ich schreibe deutsch, weil mir diese Sprache manchmal beynahe geläufiger ist” (le 21. 9. 1797 à Knebel, p. 191). L’osmose est telle que Duvau prend le parti de protéger sa langue d’adoption contre les emprunts abusifs au français : “Die deutsche Sprache ist so reich, und kann immer, ausgenommen wo von neuen Erfindungen die Rede ist, aus sich selbst schöpfen” (Wie fand ich mein Vaterland wieder im Jahr 1802?, Leipzig 1803, cité p. 308). De même, il s’apitoie avec les Allemands sur les ruines de la forteresse de Coblence et donne des villes italiennes qu’il traverse l’image presque exclusive des spoliations artistiques infligées par la France et dénoncées par Fernow. Progressivement s’impose aussi à lui l’idée d’“écrire un jour sur l’Allemagne”, notamment sur sa littérature (le 18. 9. 1804, p. 124), en même temps assurément que la question de savoir comment le faire en tant que Français (décembre 1818 à Knebel, p. 217).
Au plan esthétique, Duvau est sans doute moins audacieux que Madame de Staël, Benjamin Constant ou Charles de Villers : non libéré de tout complexe de supériorité, il mesure toujours la production littéraire allemande à l’aune de la poétique classique française, et la référence antique reste fondamentale à ses yeux. Son auteur canonique n’est ni Goethe ni Schiller ni quelque représentant de la génération romantique, c’est Wieland. Cette différence apparaît toutefois relative si l’on considère que ce que Duvau appelle “la bulle de savon du transcendantalisme” (le 20. 9. 1823 à Knebel, p. 219) demeurera extérieur à la littérature française, y compris dans sa version romantique. Mais la position de Duvau semble avoir surtout tenu précisément à l’intensité de sa familiarité avec l’Allemagne. L’expérience de l’étranger peut en effet créer d’une part une dépendance par rapport aux introducteurs et protecteurs du nouveau venu, l’exposant à la tentation du mimétisme (à Weimar, Böttiger était lui-même proche de Wieland et très hostile à l’école romantique), de l’autre une certaine crispation sur les valeurs de la culture d’origine. Avoir pris conscience de ce paradoxe, qui est aussi souffrance (“Es ist wahr, kein Land hat mich je […] so sehr verschlungen als dieses ; u doch kann man alles vorige nicht aufgeben […]”, le 28. 6. 1805, p. 140), c’est ce qui donne toute son épaisseur au personnage de Duvau. Et en avoir proposé une solution c’est le mérite du proto-germaniste qu’il fut en fin de compte. Il attribue des noms à cette solution, aurea mediocritas, mezzastrada, Mäßigkeit, impartialité et voit en elle la condition d’une liberté des échanges intellectuels qu’il dit avoir notamment apprise à Weimar (1er août au 1er septembre 1803, p. 85), à coup sûr au contact du même Wieland qu’il admire sans réserve. Duvau présentera sa vision en ce sens “mesurée” des lettres allemandes dans les articles qu’il composera, à Paris, sur Wieland, Schiller, Opitz ou Ramler pour la « Biographie universelle « de Michaud.
La correspondance entre Duvau et Böttiger est donc précieuse à plus d’un titre : elle fournit une nouvelle documentation indispensable à toute personne s’intéressant à l’histoire de l’émigration française post-révolutionnaire en Allemagne, à l’histoire des relations littéraires franco-allemandes, notamment à celle de la réception de Wieland dans le champ franco-allemand, à l’histoire du voyage, à la proto-histoire de la germanistique, du journalisme, pour ne citer que les principaux aspects. La complémentarité des lettres de Duvau à Knebel qui sont offertes en annexe, ne fait aucun doute. Ajoutons que la facture exemplaire de l’édition, la qualité de la recherche des sources qui se manifeste dans l’appareil critique et qui permet aux éditeurs d’esquisser encore des réseaux de correspondances adjacents (Böttiger / Sander, Böttiger / Lafontaine, Duvau / Lafontaine, Duvau / Mounier fils), le soin apporté à l’élucidation de la moindre allusion des textes, l’interrogation des dictionnaires de l’époque pour tout éclaircissement lexical, la clarté de l’introduction enfin, font de la lecture de l’ouvrage une mine de renseignements et un vrai plaisir d’érudition.

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15.04.2005
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