Au XVIIIe et XIXe siècle, le commerce atlantique est l'un des liens les plus efficaces entre l'Allemagne et les pays du Sud de l'Europe, France ou Espagne. Cette caractéristique explique l'intérêt qu'il suscite chez les historiens des échanges à l'intérieur de l'espace européen. Il oblige à créer des objets historiographiques transnationaux et donc à expérimenter une nouvelle histoire européenne qui ne se limite pas à la juxtaposition de traditions nationales. Klaus Weber a abordé la question de façon tout à fait originale en mettant en regard deux ports Cadix et Bordeaux et en étudiant tout particulièrement leurs relations avec Hambourg. Il s'agit d'observer des colonies marchandes qui sont certes définies d'après un critère national et ont pourtant développé de tels liens avec le contexte d'accueil qu'on peut s'interroger sur leur identité réelle ou sur la pertinence du critère national. C'est tout le problème de la mobilité des populations de négociants qui est ici posé. Mais si les négociants peuvent difficilement être abordés du point de vue du commerce national l'ouvrage observe aussi l'arrière-pays sur lequel s'appuie leur négoce et qui, lui, se caractérise par une évidente fixité. Les parties de l'ouvrage consacrées au port de Cadix sont certainement les plus novatrices puisqu'elles font apparaître l'existence d'une paradoxale colonie allemande et luthérienne fournissant le marché espagnol en produits manufacturés et le marché européen. Car durant la majeure partie du XVIIIe siècle le nombre de navires entrés dans le port de Cadix va en moyenne annuelle de 600 à 1100. Certes les Allemands y étaient moins présents que les Français à qui l'on peut attribuer 45% des gains liés à la place de Cadix, mais on pouvait néanmoins évaluer vers 1770 la population allemande du port à 200 personnes réparties entre 75 foyers. L'ouvrage de Klaus Weber aborde la question des complexes échanges diplomatiques entre Hambourg et la cour d'Espagne mais se concentre surtout sur les destins de familles singulières de négociants, comme la famille Pren, originaire de Hambourg qui réussit à obtenir le titre de "Cargador a Indias" réexportant vers l'Amérique des marchandises venues de Hambourg. A partir des années 1720 s'installent à Cadix des Allemands de Bohême, liés à l'artisanat des verreries, et ils vont constituer une sorte de minorité dans la minorité, assurant un courant d'échanges continu entre la Bohême et l'Espagne méridionale. L'étude des mariages mixtes, des confessions, des modes de vie complète fort bien l'analyse des mécanismes économiques dans l'observation d'une présence allemande paradoxale.
Le cas de Bordeaux était mieux connu que celui de Cadix et le volume des échanges plus important (2500 vaisseaux par an entrent en moyenne dans le port vers 1700). Mais l'auteur n'en fournit pas moins de nouveaux résultats de recherche sur les diverses étapes de l'installation des étrangers, sur leur vie religieuse et sociale, sur ces singuliers contrats de société qui règlent non seulement les obligations économiques mais la vie privée des partenaires. Il aborde la question épineuse du commerce des esclaves auquel les familles Romberg ou Dravemann durent une partie de leur fortune. Il évoque les procès pour négociantisme que subirent les Allemands de Bordeaux sous la Convention. Mais surtout la différence entre Cadix et Bordeaux est ancrée dans la structure économique des deux villes: Bordeaux, contrairement à Cadix, profite d'activités économiques locales, développées dans son arrière-pays.
Renversant la perspective, une dernière partie est enfin consacrée au port de Hambourg où existait aussi une implantation française (des huguenots émigrés comme les Boué proche des commerçants bordelais les Pellet). Quelques Basques espagnols sont également présents à Hambourg à partir des années 1770, comme la maison Urqullu et Urbieta. Que ce soit à Cadix, à Bordeaux ou à Hambourg, les réseaux familiaux, avec tout ce qu'ils impliquent de facteurs extra-économiques, sont une sorte de préalable aux activités commerciales. La constitution ciblée de ces réseaux familiaux oblige à une gestion complexe des mariages mixtes. Elle apparaît comme une condition nécessaire d'adaptation aux exigences nouvelles du commerce. Elle oblige à s'interroger sur l'articulation entre les structures de production dans les arrière-pays et les réseaux de diffusion. Une attention particulière est portée aux formes de sociabilités qui supportent et complètent le négoce (maçonnerie par exemple). S'achevant par d'utiles tableaux sur le négoce allemand à Cadix et Bordeaux, ce livre, utilisant toute la littérature disponible et une large gamme de sources archivistiques mal connues, constitue une contribution très riche à la réflexion sur les nombreuses déterminations qui président au développement d'un commerce international, et on pourrait dire cosmopolite, durant le XVIIIe siècle. S'il ne propose pas des modèles de compréhension de toutes les questions qu'il pose, il offre des matériaux nouveaux et fait réellement avancer la recherche dans le domaine.