L`horizon anthropologique des transferts culturels

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Title
L`horizon anthropologique des transferts culturels.


Editor(s)
Espagne, Michel; u.a.
Series
Revue Germanique Internationale 21
Extent
269 S.
Price
€ 32,00
Rezensiert für 'Connections' und H-Soz-Kult von:
Marina Chauliac, Centre Marc Bloch, Berlin

Ce numéro de la Revue germanique internationale qui se propose de questionner dans une approche historiographique et conceptuelle les transferts culturels a fait appel à la contribution de quinze auteurs qui de par leurs disciplines (histoire, anthropologie, études allemandes, études indiennes ou encore romanistique) et leurs origines géographiques sont à eux seuls une illustration des échanges scientifiques et des variétés de points de vue sur l’objet. L’enjeu de l’ouvrage est ambitieux : s’interroger sur les concepts et les auteurs qui permettent de penser les transferts culturels au-delà du cadre européen dans un dialogue constant entre anthropologie et histoire, tout en replaçant les œuvres dans un contexte historique et culturel particulier. Un de ses mérites réside ainsi dans sa volonté de traduire la complexité des situations, de multiplier les angles d’approche et de déconstruire les ethnocentrismes. C’est aussi là que réside peut-être sa faiblesse : une lecture souvent ardue et une impression d’hétérogénéité dans les contributions.

L’ouvrage est découpée en trois parties : une première partie consacrée à la confrontation avec différentes notions (notamment métissage, créolisation, hybridité, traduction, branchement) et le rôle joué par les échanges franco-allemand dans l’apparition et l’utilisation de ces notions. Dans une seconde partie, les transferts culturels sont interrogés non plus sous l’angle des concepts mais appréhendés de façon diachronique à travers des exemples précis. Enfin les derniers textes offrent un panorama des tentatives allemandes pour penser la diversité des peuples en mettant en évidence l’influence de la philologie dans les différentes modélisations.

Un texte de Jürgen Trabant ouvre la réflexion et permet de replacer dans le cadre des échanges franco-allemand l’apport de Wilhelm von Humboldt à la pensée anthropologique en particulier à travers sa définition de la langue créatrice d’une vision du monde. Si sa rencontre avec les Basques jouent ici un rôle déterminant, c’est aussi dans les échanges avec des penseurs français confrontés à l’altérité des peuples « primitifs » qu’il pose les premières pierres pour une anthropologie non évolutionniste qui considère l’autre comme un citoyen du monde. David Simo quant à lui tente de présenter et illustrer les différents modes d’appréhension de l’altérité en Europe et le type d’échange inégal qui s’est installé entre elle et le reste du monde. Même dans le rejet de la domination occidentale, il constate que « partout dans le monde, parler de l’Europe c’est parler de soi et on ne peut parler de soi sans parler de l’Europe » (p. 38). En retour, cela ne signifie pas que l’étude des peuples non européens n’a été qu’un alibi pour parler de soi et n’a pas eu d’effet sur les visions européennes du monde. Remarquons l’impact de la notion de branchement de Jean-Loup Amselle dans le champ scientifique qu’il présente brièvement ici à partir d’une critique du terme de métissage. Ce terme présente en effet l’inconvénient de renvoyer à une idée d’entité culturelle délimitée et donc de frontière, de seuil à ne pas franchir - avec dans une certaine lecture politique la notion la race « pure ». Issue de l’informatique, la métaphore du « branchement » permet dès lors de se démarquer de « l’approche qui consiste à voir dans notre monde globalisé le produit d’un mélange de cultures vues elles-mêmes comme des univers étanches et à mettre au centre de la réflexion l’idée de triangulation, c’est-à-dire de recours à un élément tiers pour fonder sa propre identité » (pp. 50-51). De même que Jean-Loup Amselle, Laurier Turgeon analyse les usages et réappropriations politiques de certains concepts anthropologiques comme acculturation, transculturation, traduction (qui sera étudiée plus spécifiquement dans la contribution suivante de Marc Crépon), métissage ou encore créolisation et hybridation. A ce propos l’auteur montre de manière particulièrement frappante combien le paradoxe de ces derniers termes qui pour penser le mélange partent de l’idée d’une culture ou d’une ethnie « pure » amène un discours postcolonial qui prône le métissage « tout en déplorant la disparition de l’autre, tandis que l’autre lui-même, souvent, entreprend de retrouver son histoire particulière, antérieure à la colonisation, dans une nostalgie, curieusement similaire, de cette pureté originelle disparue » (p. 67).

La seconde section de l’ouvrage nous permet d’appréhender de manière plus empirique les mécanismes de transferts culturels. C’est également l’occasion de décentrer son regard quant à leurs interprétations, comme l’illustre Marika Moisseef à propos de la remémoration spatiale des emprunts culturels chez les Aranda, un groupe aborigène de l’Australie centrale. A travers les récits de déambulation d’être éternels, les Aranda offrent une vision a-historique et non hiérarchisée des échanges entre différents groupes qui s’éloigne du schéma occidental marqué par l’évolutionnisme. Le décentrement du regard est diachronique dans les trois interventions suivantes consacrées à la formation et l’influence des conceptions de l’altérité en Occident, à savoir, la façon dont est instrumentalisée et traduite l’histoire des Incas dans l’Espagne du XVIè siècle (Carmen Bernand), la description des peuples amérindiens par Alexander von Humboldt qui amorce une réflexion comparative entre les peuples et replace les « sauvages » dans l’histoire de l’humanité (Christian Helmreich), enfin la résonance posthume qu’a connu l’œuvre du philosophe allemand Karl Krause dans l’Espagne de la deuxième moitié du XIXè siècle (Pierre Bidart). En se penchant sur l’introduction du roman dans l’empire russe ainsi qu’en Inde britannique, Sergei Serebriany se distingue des textes précédents en proposant lui-même une analyse comparée d’un transfert culturel. Le regard rétrospectif et comparatif permet ici d’éclairer deux histoires de réappropriations dont le succès, pour l’une, et l’échec, pour l’autre, ont des répercutions sur le marché mondial actuel. Toute aussi stimulante est la réflexion de Michael Harbsmeier sur la perception de l’Occident du XIXè siècle par des diplomates chinois. De leurs observations sur cette altérité totale que leur semble être l’Occident, on retiendra notamment un point commun avec les voyageurs occidentaux en Orient, à savoir leur ethnocentrisme à travers la représentation inversée de leur propre monde. Leurs témoignages demeurent toutefois uniques grâce à leur possibilité de traduire les techniques et traditions occidentales dans des termes qui ne soient pas ceux du passé ou de l’avenir.

La dernière partie consacrée plus spécifiquement à l’appréhension de quelques penseurs allemands de la pluralité des peuples (bien que ceux-ci soient présents dans tout le reste de l’ouvrage) contribue à redéfinir leurs œuvres en tant que produits de nombreux échanges entre l’Allemagne et la France. Wolfgang Kaschuba montre que derrière la réception un peu caricaturale des œuvres de Herder, Jahn et même Arndt se trouve une réflexion sur la consistance d’une culture, la gallophobie du dernier pouvant même être conçue comme une forme d’interprétation culturaliste de l’univers. Notons également combien la définition non essentialiste de la culture par Herder à partir d’une manière commune de sentir et de se souvenir est actuelle. On a ici les bases pour une « culturalisation » de la différence qui devient universelle (p. 194) Céline Trautmann-Waller s’intéresse quant à elle à la façon dont Adolf Bastian, souvent considéré comme le père de l’ethnologie allemande s’est interrogé sur la diversité des cultures. Postulant une unité psychique de l’humanité, il n’en a pas recherché l’origine mais, dans une perspective comparatiste, a tenté d’établir des liens entre les caractéristiques d’un peuple (ses pensées élémentaires) et le contexte géographique dans lequel ces pensées se sont développées. C’est à nouveau l’histoire de l’anthropologie qui fait l’objet de l’article de Michel Espagne. On y retrouve de façon exemplaire l’importance des échanges franco-allemand dans l’étude des mythes et de leur circulation. La revue L’Homme témoigne ainsi combien la recherche structuraliste associant langues et sociétés ou la recherche sur la mythologie s’inscrit « dans le cadre d’une tradition de controverses ou d’affirmation identitaires franco-allemande » (p. 226) La contribution de Matthias Middell qui se clôt sur l’influence actuelle de la construction de l’Europe sur la recherche scientifique permet encore une fois de montrer combien l’étude des transferts culturels est elle-même dépendante de l’environnement politique et a tout intérêt à dépasser un « nationalisme méthodologique » pour se nourrir et nourrir elle-même une « global history ».

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09.09.2005
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