J. v. Rosen: Kulturtransfer als Diskurstransformation

Title
Kulturtransfer als Diskurstransformation. Die Kantische Ästhetik in der Interpretation Mme de Staëls


Author(s)
von Rosen, Julia
Series
Studia Romanica Bd.120
Published
Extent
306 S.
Price
36,00 €
Rezensiert für 'Connections' und H-Soz-Kult von:
Michel Espagne

Dans sa thèse sur l'interprétation de l'esthétique kantienne engagée par Madame de Staël, Julia von Rosen comble une sérieuse lacune. En effet le terme d'esthétique est longtemps un mot étranger en France et l'intérêt de Germaine de Staël pour cette nouvelle notion éclaire un moment important de l'histoire intellectuelle bilatérale. La thèse s'organise en quatre parties qui sont autant de perspectives sur le problème : une introduction méthodologique, la mise en regard de deux modèles esthétiques celui de Madame de Staël et celui de Kant, une étude des représentations staeliennes de la philosophie et de la notion de compréhension. Enfin la dernière grande partie est consacrée au travail interprétatif conduit par Germaine de Staël sur le texte de Kant.
Dans la partie introductive Mme von Rosen souligne très justement que les deux auteurs qu'elle met en relation ont à la fois un horizon commun, la pensée des Lumières, et des différences d'appartenance intellectuelle si nettes qu'une adaptation doit nécessairement accompagner toute appropriation. Elle se réclame de la notion de transfert culturel et l'emploie à vrai dire dans une acception particulière, puis qu'elle s'intéresse essentiellement au passage d'une théorie philosophique d'un contexte dans un autre, aux transformations de type sémantique qui en résultent. Elle souligne très justement que le passage du texte kantien au texte de Madame de Staël représente un changement de genre et qu'une partie de l'adaptation s'explique ainsi. Dans l'état de la recherche sont mis judicieusement en avant les travaux de Kurt Müller-Vollmer sur les relations de Humboldt et de Madame de Staël. Peut-être l'auteur aurait-elle pu en retirer davantage d'éléments pour sa propre réflexion dans la mesure où l'essai de Humboldt sur Hermann und Dorothea représente la tentative d'un kantien, Wilhelm von Humboldt, d'expliquer à madame de Staël ce qu'est la philosophie esthétique de l'idéalisme plus de dix ans avant De l'Allemagne.
Dans sa seconde grande partie, Mme von Rosen tente d'opposer deux conceptions de l'esthétique en précisant que son corpus staelien englobe principalement De la littérature, Corinne et De l'Allemagne, des textes qui relèvent eux-mêmes de genres différents Très bienvenus sont les passages consacrés au terme d'esthétique lui-même. Le champ de réflexion dégagé au milieu du XVIIIIe siècle par Baumgarten était en effet loin de bénéficier d'une attention significative de la part des Français vers 1800. L'esthétique était alors un terme étranger transmis à Mme de Staël par de Villers. Peut-être ne signifie-t-il dans l'esprit de la dame de Coppet rien d'autre que théorie des Beaux arts dans une sorte de continuité par rapport à l'Abbé Batteux. Toujours est-il que la réflexion sur l'emploi des mots est un des moments forts d'une thèse qui reste très attachée aux aspérités des textes, et fascinée par les décalages sémantiques. Julia von Rosen sait reconnaître les sens annexes voire parfois parasitaires qui accompagnent les mots employés. C'est ainsi que les raisonnements de Germaine de Staël sont déterminés par une représentation de la perfectibilité, que les considérations sur le beau sont chez elles toujours accompagnées par un souci de la morale. On doit savoir gré à l'auteur de ne pas dissimuler les contradictions dans le texte de Madame de Staël qui tantôt (Corinne) accorde par exemple une place importante à la musique tantôt la lui refuse. Ces contradictions sont souvent les indices de mouvements de fond, comme le passage du primat de l'imitation au primat de l'imagination
La troisième partie consacrée aux conceptions de la philosophie et du langage propres à Madame de Staël permet de préciser pour ainsi dire de façon intrinsèque le cadre intellectuel dans lequel peut s'opérer la réception de la philosophie kantienne
La quatrième partie, peut-être la plus importante, est une analyse micrologique du texte de De l'Allemagne interrogé du point de vue des échos qu'il apporte de réflexions kantiennes, des stratégies utilisées par Madame de Staël pour s'approprier des moments du discours kantien et les rendre acceptables à un public très étranger. Julia von Rosen a raison de souligner de manière répétée la perspective antinapoléonienne de Germaine de Staël, une perspective de. caractère politique et social qui n'a évidemment rien à voir avec la Critique du jugement. Très utile apparaît dans ce contexte la réflexion sur les sens du terme idéalisme dans la France de 1810. On voit bien que l'enjeu des analyses ne concerne pas ici seulement le Kant de Madame de Staël, mais que les représentations staeliennes du kantisme mettent en jeu la perception globale de la culture allemande. Tout à fait intéressantes sont les analyses quasiment ligne à ligne du chapitre sur Kant où Julia von Rosen surprend les glissements de perspectives entre la position de Kant et celle de l'auteur de De l'Allemagne elle-même. La juxtaposition éclectique des trois critiques opérée par Germaine de Staël, la résurgence de thèmes platoniciens sont autant d'éléments jalonnant une complexe et polyforme stratégie d'appropriation. Le transfert du discours kantien apparaît à la lecture de l'analyse qu'en fait Madame von Rosen comme la construction d'un tout nouveau discours où la catégorie du goût propre à l'esthétique classique rencontre la catégorie kantienne du reines Geschmacksurteil. Les réflexions consacrées dans cette partie à la notion d'enthousiasme, à celle de finalité ou d'utilité sont tout particulièrement révélatrices de la reconstruction d'un Kant nouveau.
On pourra éventuellement se demander s'il n'aurait pas été judicieux d'interroger davantage les discours intermédiaires entre le texte de Germaine de Staël et Kant qu'elle n'a à proprement parler jamais lu, si par exemple les strates interprétatives liées à de Villers, Crabb Robinson, Humboldt, De Gérando etc. n'auraient pas dû être elles aussi confrontées au texte de Madame de Staël, car c'est de cette médiation-là que la dame de Coppet tient sa science kantienne. Mais une telle approche, aurait dépassé le propos de l'auteur et aurait abouti à une étude de la première réception de Kant en France. Le livre présente le grand mérite d'avoir pris au sérieux la pensée de Germaine de Staël, d'en avoir reconstruit la cohérence propre sans chercher à dissimuler un flou qui permet précisément d'adapter des aspects de la philosophie de Kant. Il n'existait pas d' analyse aussi approfondie et on doit être reconnaissant à l'auteur d'avoir livré une importante et rigoureuse contribution à la compréhension de la théorie de l'art qui prévaut dans De l'Allemagne, de nous faire assister, dans le labyrinthique détail des emprunts et glissements sémantiques, à une des premières pénétrations sérieuses de la réflexion esthétique allemande en France.

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11.02.2005
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