M. Espagne: Philhellénismes et transferts culturels

Title
Philhellénismes et transferts culturels dans l’Europe du XIXe siècle.


Editor(s)
Espagne, Michel
Series
Revue germanique internationale 1-2, 2005
Published
Paris 2005: CNRS Éditions
Extent
245 S.
Price
€ 30,00
Rezensiert für 'Connections' und H-Soz-Kult von:
Marie-Ange Maillet, Université Paris VIII - Saint-Denis

Le philhellénisme, qui constitue l’un des premiers phénomènes d’ampleur européenne, voire extra-européenne du XIXe siècle, désigne dans son acception la plus stricte le mouvement spontané de sympathie et de soutien apporté aux Grecs lors des guerres de libération contre l’occupant ottoman dans les années 1820. Mais l’on peut concevoir une définition qui embrasserait des réalités historiques plus variées. Le philhellénisme désignerait alors l’élan de solidarité qui perdura jusqu’à la fin du siècle envers la nation grecque considérée comme l’une des dernières nationalités européennes opprimées de l’après-1848 ; dans un sens plus large encore, il correspondrait au mouvement scientifique, esthétique et philosophique qui, dès la fin du XVIIIe siècle, réinvestit la Grèce antique de son ancien statut de référence culturelle. Ce sont ces philhellénismes que prend pour objet ce numéro de la Revue Germanique Internationale, dont les résultats sont issus d’un colloque tenu en 2005 à Paris. Y sont abordées, au fil de treize contributions, des questions aussi diverses que la construction de la science orientaliste contre les études philologiques classiques (Suzanne Marchand), l’élaboration éditoriale des œuvres complètes de Winckelmann (Elisabeth Décultot), le choix de la prononciation du grec à l’université impériale (Vivi Perraky), les topoi du discours philhellène dans les textes du conventionnel Bertrand Barère (Maïté Bouissy), les amitiés littéraires et politiques franco-italiennes qui se forment dans les années 1890 suite aux « affaires de Crête » à l’origine d’une nouvelle guerre entre la Grèce et la Turquie (Gilles Pécout), ou encore la signification de la référence grecque dans l’œuvre de Sigmund Freud (Jacques Le Rider).

S’il peut, de prime abord, dérouter quelque peu, le choix de traiter d’époques et de thèmes aussi variés permet de souligner l’immense impact de la Grèce antique et moderne sur la culture et les mentalités européennes du XIXe siècle - voire au-delà de ces limites chronologiques lorsque sont évoqués les rapports d’Albert Thibaudet au classicisme grec dans les années 1900-1930 (Sophie Basch). Par ailleurs, l’ouvrage entend surtout mettre en évidence, sur la base d’exemples choisis, la richesse d’un tel sujet pour l’étude des transferts culturels. Le philhellénisme se prête de manière privilégiée à une approche sous cet angle, puisque l’intérêt manifesté par les nations européennes pour le monde et la culture grecs s’est nourri de contacts étroits entre les pays et a favorisé à son tour l’échange des savoirs et des représentations. C’est ce que montre Gilbert Hess (« Missolonghi. Genèse, transformations multimédiales et fonction d’un lieu identitaire du philhellénisme ») en s’attachant à un sujet encore relativement peu exploité, la littérature philhellène. A partir d’un événement décisif pour l’évolution du philhellénisme européen - la prise de la ville de Missolonghi par les Turcs -, l’auteur a pu souligner le rôle essentiel du poète anglais Byron sur les représentations françaises et allemandes de cet événement. Mais d’autres articles rappellent également qu’en traversant les frontières, ces représentations ont dû s’adapter à des contextes et des environnements religieux et politiques nouveaux. Comme le souligne Michel Espagne (« Le philhellénisme entre philologie et politique. Un transfert franco-allemand »), on ne saurait parler du philhellénisme français au même titre que du philhellénisme allemand. Si les traditions philhelléniques des deux nations ont pu s’enrichir l’une l’autre, l’enthousiasme pour la Grèce a également engendré des rapports de concurrence lorsque l’Allemagne, au cours du XIXe siècle, s’est en quelque sorte accaparé la référence grecque pour en faire un élément constitutif de son identité. En ce sens donc, on peut bien parler aussi d’un philhellénisme pluriel.

On croisera au fil des articles le nom de nombreuses personnalités connues au XIXe siècle comme des figures de médiation importantes entre la Grèce et l’Europe : personnalités européennes, comme Charles Benoît Hase, cet helléniste allemand établi en France dont Sandrine Maufroy retrace le parcours - des extraits de sa correspondance publiés en annexe au volume donnent une excellente idée de son réseau de relations avec des savants français, allemands ou grecs ; personnalités grecques également, tels Constantinos Schinas ou Ioannis Coletti, dont Marie-Lise Mitsou a analysé les liens avec le célèbre philologue Friedrich Thiersch à l’occasion d’une étude sur la genèse de la « Grande idée ». Mais l’approche des transferts culturels prend tout son sens lorsqu’il apparaît que loin d’être seulement acteurs du philhellénisme, les Grecs furent aussi profondément marqués par ce regard extérieur porté sur leur pays. A ce propos, on lira avec profit l’analyse que livre Maria Tsoutsoura de la littérature grecque, et plus encore la contribution consacrée par Konstantina Zanou à Andrea Mustoxidi, l’un des premiers Grecs à s’intéresser à la poésie populaire de son pays. Parti très tôt en exil en Italie, Mustoxidi refusa plus tard de revenir en Grèce ; c’est finalement par l’expression d’une nostalgie envers un pays idéalisé, perçu à travers le prisme d’un discours philhellène sans adéquation avec son objet que s’affirmera son identité grecque. En ce sens, son exemple est représentatif de celui de nombreux intellectuels de la diaspora grecque en Europe.

Le philhellénisme constitue pour l’étude des transferts culturels un champ d’investigation très vaste, et les divers sujets traités dans ce volume, dont certains s’intègrent dans de plus vastes travaux, ont le mérite de souligner la fécondité de cette approche ; les auteurs de l’ouvrage s’étant restreints à l’étude des liens quadrilatéraux entre la France, l’Allemagne, l’Italie et la Grèce, on peut souhaiter que cette réflexion soit, à l’avenir, étendue à de plus nombreux pays.

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21.10.2006
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